Avant qu’Annabelle ne marque de son empreinte récente l’univers de la poupée diabolique au cinéma, il y avait Chucky. Chucky, la plus célèbre et la plus sadique des poupées tueuses. C’était il y a plus de trente ans déjà : Don Mancini donnait vie à ce personnage qui s’apprêtait à devenir l’unique et emblématique symbole de sa carrière de cinéaste. Le scénariste qui écrivait à l’époque son tout premier métrage n’imaginait sûrement pas que la poupée tueuse à laquelle il donnait vie obtiendrait sa place bien des années plus tard au panthéon des icônes du cinéma horrifique. Encore moins qu’elle se destinait à incarner, ne serait-ce que pour quelques secondes, l’une des figures de la pop culture à laquelle rendrait hommage Spielberg au détour d’une fresque nostalgique longuement attendue par toute une génération. Mais si l’on aurait déjà pu croire la poupée enterrée au regard des sorties vidéos-à-la-demande dont les deux derniers volets de la saga avaient tristement été gratifiés, sa destinée ne semble pourtant pas prête de s’achever.
Chucky a parcouru un long chemin durant ces trente longues années. Mais son créateur ne s’est jamais éloigné de son oeuvre : à la réalisation de certains chapitres et à l’écriture constante de chaque épisode de la saga désormais culte de l’épouvante. Alors, comment Chucky, du haut de ses cinquante centimètres de caoutchouc et de sa toison rousse synthétique, a-t-il bien pu réussir à s’inscrire dans la durée, alors même que le business des suites a épuisé peu à peu la plupart des sagas horrifiques du siècle dernier ? Probablement parce que la franchise telle que l’a imaginée et façonnée au fil des années Don Mancini, rassemblera sans exception et tout au long de son existence deux des principaux ingrédients qui ont fait son succès : l’intemporalité de la poupée qui a traversé les générations d’une part, mais plus encore, le cynisme, l’humour noir et décapant de celui qui à l’origine, incarne l’innocence même d’un jouet pour enfants.
Si l’intégration d’une poupée animée à l’écran n’a plus rien d’extraordinaire à l’ère du cinéma numérique, c’est toute la créativité des marionnettistes et l’habileté des metteurs en scène qu’incarnait, dés sa sortie, l’impérissable premier épisode des méfaits de la poupée meurtrière. Et bien que l’enjeu technique n’existe plus vraiment, le design old school de cette nouvelle poupée s’inspire librement de son aïeule. A la mythique Brave Gars, succède donc Buddi, le nouveau jouet populaire que tous les enfants rêvent de retrouver sous leur sapin de Noël. Qu’en est-il donc de cette nouvelle version ? A l’image des récentes productions vouées aux quelques iconiques Freddy Krueger, Jason Voorhees ou encore Michael Myers, c’est sous forme d’un remake que les producteurs décident d’opérer le retour sur grand écran du croquemitaine miniature. Plus qu’un remake, on découvre dés la scène d’ouverture qu’il s’agit en réalité d’un véritable reboot. Un Chucky 2.0 qui n’a plus grand chose à voir avec son prédécesseur, si ce n’est sa future propension toute particulière à la criminalité. C’est donc une réécriture en profondeur de la poupée mythique, une nouvelle dimension rafraichissante, mais plutôt difficile à accepter pour les plus conservateurs.
Arrive donc la première et principale problématique de ce Child’s Play nouvelle génération : l’entrée en scène d’une certaine rationalité liée à sa nouvelle origine. Jusqu’à présent, Chucky avait toujours incarné l’âme de Charles Lee Ray, psychopathe dont l’esprit avait pris possession du corps de la poupée lors de sa mort, au milieu des rayons d’un magasin de jouets. La réalité du reboot est toute autre : Chucky est une intelligence artificielle moderne, sur laquelle un employé à bout de nerfs désactive les filtres de sécurité voués à protéger le système de toute forme de violence lors de sa conception. Mais, il y a un mais. On pouvait accepter sans que cela ne pose aucune question les faits et gestes de Chucky en temps qu’entité démoniaque loin de toute notion de rationalité. Réduire le personnage à une intelligence artificielle, c’est renoncer aux libertés d’écriture qu’offrait la première version du personnage et emprunter un chemin souvent sinueux pour le cinéma de genre : celui de la crédibilité. Et cet aspect est intelligemment introduit dans la première partie du film qui élabore progressivement le penchant meurtrier de la poupée. C’est en se nourrissant des relations entre les personnages et des éléments qui l’entourent - télévision, films et autres jeux vidéos - que l’intelligence artificielle va doucement basculer, laissant petit à petit émerger l’ignoble Chucky que l’on aime. Malheureusement, tout est beaucoup trop rapide et succinct pour donner une réelle impression de cohérence au comportement de l’intelligence artificielle, et cette phase aurait sans doute mérité d’être plus longue et plus approfondie. C’est malgré tout cette construction de la personnalité de la poupée qui s’avèrera l’élément le plus intéressant et le plus recherché du métrage.
Toujours dans une même volonté de réécriture et de rajeunissement du premier opus, Andy et sa maman font également l’objet d’un bon dépoussiérage. Famille dysfonctionnelle, mère immature et souffre-douleur à l’école, Chucky arrive dans un foyer moderne auprès d’Andy, toujours attachant et peut-être moins naïf que son prédécesseur. Et si l’aspect high-tech de la poupée atténue inexorablement l’impact de ses premières apparitions à l’écran, la poupée retrouve de sa superbe dans la dernière partie du film. Echappant enfin à tout contrôle, Chucky redevient bel et bien la petite terreur insolente et perverse telle que Don Mancini l’a conçue. Le carnage peut donc commencer et opèrera dans un festival d’hémoglobine et d’humour noir. On retrouve toute l’obscénité de la poupée, notamment au détour d’une scène de meurtre des plus irrévérencieuses dont la victime n’est autre que le détraqué sexuel du coin Et si l’issue de cette symphonie sanguinolente progressive n’est pas des plus originales et défonce à son tour la porte du « too much » , on ressort tout de même avec la sensation d’avoir retrouvé, pour quelques instants, notre petit être de plastique malfaisant.
Etait-il vraiment nécessaire de sortir Chucky de son paisible début de retraite ? Probablement pas. Tout n’est pas à oublier pour autant et la nouvelle écriture du personnage, à défaut d’être crédible sur la durée, octroie un regain de modernisation appréciable, particulièrement à l’ère des remakes fleurissant sans quelconque volonté créatrice. En acceptant de mettre de côté les quelques détails qui font grincer des dents, on ne peut qu’apprécier la plupart des inspirations, le travail tout particulier de l’esthétique, et le jusqu’au-boutisme des idées. Child’s Play constitue finalement un petit film d’horreur efficace qui parvient même à toucher du doigt l’esprit de la saga d’origine, au terme d’une rencontre improbable entre les nouvelles technologies et les codes eighties du cinéma d’épouvante.