lundi 30 septembre 2019

Avant qu’Annabelle ne marque de son empreinte récente l’univers de la poupée diabolique au cinéma, il y avait Chucky. Chucky, la plus célèbre et la plus sadique des poupées tueuses. C’était il y a plus de trente ans déjà : Don Mancini donnait vie à ce personnage qui s’apprêtait à devenir l’unique et emblématique symbole de sa carrière de cinéaste. Le scénariste qui écrivait à l’époque son tout premier métrage n’imaginait sûrement pas que la poupée tueuse à laquelle il donnait vie obtiendrait sa place bien des années plus tard au panthéon des icônes du cinéma horrifique. Encore moins qu’elle se destinait à incarner, ne serait-ce que pour quelques secondes, l’une des figures de la pop culture à laquelle rendrait hommage Spielberg au détour d’une fresque nostalgique longuement attendue par toute une génération. Mais si l’on aurait déjà pu croire la poupée enterrée au regard des sorties vidéos-à-la-demande dont les deux derniers volets de la saga avaient tristement été gratifiés, sa destinée ne semble pourtant pas prête de s’achever.

Chucky a parcouru un long chemin durant ces trente longues années. Mais son créateur ne s’est jamais éloigné de son oeuvre : à la réalisation de certains chapitres et à l’écriture constante de chaque épisode de la saga désormais culte de l’épouvante. Alors, comment Chucky, du haut de ses cinquante centimètres de caoutchouc et de sa toison rousse synthétique, a-t-il bien pu réussir à s’inscrire dans la durée, alors même que le business des suites a épuisé peu à peu la plupart des sagas horrifiques du siècle dernier ? Probablement parce que la franchise telle que l’a imaginée et façonnée au fil des années Don Mancini, rassemblera sans exception et tout au long de son existence deux des principaux ingrédients qui ont fait son succès : l’intemporalité de la poupée qui a traversé les générations d’une part, mais plus encore, le cynisme, l’humour noir et décapant de celui qui à l’origine, incarne l’innocence même d’un jouet pour enfants.

Si l’intégration d’une poupée animée à l’écran n’a plus rien d’extraordinaire à l’ère du cinéma numérique, c’est toute la créativité des marionnettistes et l’habileté des metteurs en scène qu’incarnait, dés sa sortie, l’impérissable premier épisode des méfaits de la poupée meurtrière. Et bien que l’enjeu technique n’existe plus vraiment, le design old school de cette nouvelle poupée s’inspire librement de son aïeule. A la mythique Brave Gars, succède donc Buddi, le nouveau jouet populaire que tous les enfants rêvent de retrouver sous leur sapin de Noël. Qu’en est-il donc de cette nouvelle version ? A l’image des récentes productions vouées aux quelques iconiques Freddy Krueger, Jason Voorhees ou encore Michael Myers, c’est sous forme d’un remake que les producteurs décident d’opérer le retour sur grand écran du croquemitaine miniature. Plus qu’un remake, on découvre dés la scène d’ouverture qu’il s’agit en réalité d’un véritable reboot. Un Chucky 2.0 qui n’a plus grand chose à voir avec son prédécesseur, si ce n’est sa future propension toute particulière à la criminalité. C’est donc une réécriture en profondeur de la poupée mythique, une nouvelle dimension rafraichissante, mais plutôt difficile à accepter pour les plus conservateurs.


Arrive donc la première et principale problématique de ce Child’s Play nouvelle génération : l’entrée en scène d’une certaine rationalité liée à sa nouvelle origine. Jusqu’à présent, Chucky avait toujours incarné l’âme de Charles Lee Ray, psychopathe dont l’esprit avait pris possession du corps de la poupée lors de sa mort, au milieu des rayons d’un magasin de jouets. La réalité du reboot est toute autre : Chucky est une intelligence artificielle moderne, sur laquelle un employé à bout de nerfs désactive les filtres de sécurité voués à protéger le système de toute forme de violence lors de sa conception. Mais, il y a un mais. On pouvait accepter sans que cela ne pose aucune question les faits et gestes de Chucky en temps qu’entité démoniaque loin de toute notion de rationalité. Réduire le personnage à une intelligence artificielle, c’est renoncer aux libertés d’écriture qu’offrait la première version du personnage et emprunter un chemin souvent sinueux pour le cinéma de genre : celui de la crédibilité. Et cet aspect est intelligemment introduit dans la première partie du film qui élabore progressivement le penchant meurtrier de la poupée. C’est en se nourrissant des relations entre les personnages et des éléments qui l’entourent - télévision, films et autres jeux vidéos - que l’intelligence artificielle va doucement basculer, laissant petit à petit émerger l’ignoble Chucky que l’on aime. Malheureusement, tout est beaucoup trop rapide et succinct pour donner une réelle impression de cohérence au comportement de l’intelligence artificielle, et cette phase aurait sans doute mérité d’être plus longue et plus approfondie. C’est malgré tout cette construction de la personnalité de la poupée qui s’avèrera l’élément le plus intéressant et le plus recherché du métrage.

Toujours dans une même volonté de réécriture et de rajeunissement du premier opus, Andy et sa maman font également l’objet d’un bon dépoussiérage. Famille dysfonctionnelle, mère immature et souffre-douleur à l’école, Chucky arrive dans un foyer moderne auprès d’Andy, toujours attachant et peut-être moins naïf que son prédécesseur. Et si l’aspect high-tech de la poupée atténue inexorablement l’impact de ses premières apparitions à l’écran, la poupée retrouve de sa superbe dans la dernière partie du film. Echappant enfin à tout contrôle, Chucky redevient bel et bien la petite terreur insolente et perverse telle que Don Mancini l’a conçue. Le carnage peut donc commencer et opèrera dans un festival d’hémoglobine et d’humour noir. On retrouve toute l’obscénité de la poupée, notamment au détour d’une scène de meurtre des plus irrévérencieuses dont la victime n’est autre que le détraqué sexuel du coin Et si l’issue de cette symphonie sanguinolente progressive n’est pas des plus originales et défonce à son tour la porte du « too much » , on ressort tout de même avec la sensation d’avoir retrouvé, pour quelques instants, notre petit être de plastique malfaisant.

Etait-il vraiment nécessaire de sortir Chucky de son paisible début de retraite ? Probablement pas. Tout n’est pas à oublier pour autant et la nouvelle écriture du personnage, à défaut d’être crédible sur la durée, octroie un regain de modernisation appréciable, particulièrement à l’ère des remakes fleurissant sans quelconque volonté créatrice. En acceptant de mettre de côté les quelques détails qui font grincer des dents, on ne peut qu’apprécier la plupart des inspirations, le travail tout particulier de l’esthétique, et le jusqu’au-boutisme des idées. Child’s Play constitue finalement un petit film d’horreur efficace qui parvient même à toucher du doigt l’esprit de la saga d’origine, au terme d’une rencontre improbable entre les nouvelles technologies et les codes eighties du cinéma d’épouvante.

dimanche 28 octobre 2018


" LA PREMIÈRE FOIS QUE JE L'AI VU, IL Y A QUINZE ANS DE CELA, ON M'A DIT QUE CET ENFANT N'AVAIT PLUS NI RAISON, NI CONSCIENCE. QU'IL NE RÉAGISSAIT PLUS AUX CHOSES LES PLUS RUDIMENTAIRES COMME LA VIE OU LA MORT. LE BIEN OU LE MAL. LE VRAI ET LE FAUX. J'AI VU CET ENFANT DE SIX ANS AU VISAGE MORT, PÂLE, OÙ NE SE PEIGNAIT AUCUNE EMOTION, AVEC D'IMMENSES YEUX NOIRS... LES YEUX DU DIABLE. J'AVAIS LA CERTITUDE QUE CE QUI HABITAIT CET ENFANT ETAIT... LE MAL À L'ÉTAT PUR " 
- Dr. Samuel Loomis

Il y a quarante ans, naissait l’une des âmes les plus mythiques du film de genre, Michael Myers. John Carpenter n’imaginait certainement pas à quel point son travail, son oeuvre et le monstre qu’il avait crée deviendrait l’un des précurseurs du cinéma d’épouvante. Et encore moins le symbole cinématographique d’une fête aussi populaire qu’Halloween. Une petite rue d’Haddonfield, un croquemitaine au masque blanc et Jamie Lee Curtis, il n’en faut pas plus pour représenter Halloween. La fête des morts. Dans tous les sens du terme. La plus célèbre des sagas de films d’épouvante des années 80 revient dans nos salles obscures. De quoi enfin fêter dignement Samhain ?

Certes, le nombre de films et les différentes déviations scénaristiques font d’Halloween une saga relativement chaotique. Au fil des huit épisodes, les cinéastes qui se sont succédés à la tâche se sont tant bien que mal renvoyé la balle, évoquant ou non des liens fraternels entre Laurie et Michael, tuant et ressuscitant Laurie à la guide des nouvelles ambitions des scénaristes, ou considérant même qu’Halloween ne devait pas forcément raconter l’histoire du tueur masqué lors du troisième opus. Malgré tout, on ne peut pas enlever à la saga cette âme, que chacun de ses films est parvenu à conserver. Cette magie sanglante qui fait d’Halloween aujourd’hui bien plus qu’une simple franchise, un véritable mythe du film d’horreur. L’un de ces mythes indémodables que l’on a pas besoin d’avoir vu pour connaître, qui occupe sa place dans la culture populaire. Et l’essence-même de cette pérennisation ne peut être autre que Michael Myers. Si les deux premiers volets de la saga sont de pures merveilles cinématographiques, les volets suivants n’ont pas toujours bénéficié de la virtuosité de leurs cinéastes respectifs. Et pourtant, Myers n’a jamais perdu son aura fantomatique, ses apparitions à l’écran n’ont jamais remis la force de son personnage en question. Cette constance, c’est certainement à son propre créateur que Michael Myers la doit. John Carpenter a su faire naître un monstre de films d’horreur qui dépasserait le cadre de son propre film, il a su fabriquer une véritable figure, sans jamais montrer son visage. Et ce qui pourrait sembler paradoxal ne l’est finalement pas le moins du monde. Comment mieux incarner la peur qu’en cachant celui qui en est l’auteur ? Le masque confère à Michael Myers cette sorte de lueur obscure, la pâleur du masque qui contraste la noirceur de son regard. Carpenter a déshumanisé son personnage pour le rendre effrayant, mais pas assez pour lui permettre d'accéder au registre du fantasme. Michael Myers est un être humain. Et c’est cette ambivalence qui fait de lui un personnage tellement à part dans l’univers horrifique. Cette confrontation constante du psychopathe tueur en série interné dans un asile psychiatrique, objet de la science et de la médecine, et du croquemitaine, insaisissable, qui ne peut pas mourir et qui n’est finalement qu’une personnification du mal en personne.

The Shape est bel et bien le liant de la longue fresque horrifique qu’est Halloween, au point même d’avoir poussé un cinéaste moderne comme Rob Zombie à démystifier son personnage, dans le cadre de ses deux remakes réinventant les deux premiers chapitres de la saga, moins fantasmagoriques et bien plus viscéraux que leurs prédécesseurs. Ces deux expériences ne pouvant toutefois être considérées au sein-même de la saga authentique, cela faisait plus de seize ans qu’un Halloween n’avait plus vu le jour. Seize ans que nous avions laissé Michael Myers, reprenant vie sur une table de morgue, dans les dernières secondes d’Halloween Résurrection. La suite, on ne la connaitra pourtant pas. Et pour cause, pour son grand retour, Halloween fait table rase des sept films consécutifs ayant fait suite à l’oeuvre originelle de 1978. On oublie donc définitivement le lien de sang unissant Laurie et Michael, tout comme son obsession chronique d’éradiquer tout être présent sur son arbre généalogique. Si l’on ne se réfère qu’à La Nuit des Masques, Michael Myers est un tueur animé que par le simple besoin de tuer quiconque croiserait sa route ou rôderait aux alentours de l’ancienne maison qu’il partageait avec sa famille avant d’y égorger sa petite soeur.

Dans ce nouveau volet, c’est quarante ans après cette sinistrement célèbre soirée d’Halloween que nous retournons à Haddonfield. Si Myers est à nouveau enfermé dans une unité psychiatrique, Laurie n’a pas quitté les lieux non plus. Notre Jamie Lee Curtis est toujours là, quelques années de plus se sont dessinées sur son visage, mais n’ont pas fait disparaitre cette aura qui fait d’elle l’une des plus grandes icônes féminines du film de genre. Tous les ingrédients sont au rendez-vous, y compris la présence de John Carpenter à la production qui n’avait plus participé au moindre projet Halloween depuis le deuxième volet. Mais il y a aussi Blumhouse, qui commence à inspirer davantage de crainte que de confiance depuis quelques mois. Et il y a surtout les innombrables déceptions que d’autres icônes du cinéma de genre remises au goût du jour nous ont fait subir ces quelques dernières années. Michael Myers est-t-il véritablement de retour ?

Halloween, cuvée David Gordon Green nous a insidieusement permis de douter. Les plus fervents fanatiques du tueur masqué ont immanquablement dû sentir leur rythme cardiaque s’affoler lorsqu’un angle de caméra se retrouve dés les premières minutes de film irrésistiblement attiré par le visage de Myers, n’arrêtant son mouvement juste avant l’instant où il nous aurait été dévoilé pour la première fois, oeuvres de Zombie mises à part. Dans la même veine, difficile de ne pas s’inquiéter lorsqu’une pseudo-enquête journalistique a l’air au moins quelques minutes de constituer le prétexte de ce nouvel opus. Halloween Résurrection ou Blair Witch plus récemment nous ont au moins délivré une leçon : revenir sur les lieux d’un précédent film avec pour unique but… de revenir sur les lieux d’un précédent film, avec une caméra embarquée ou vingt-cinq caméras de télévision, ce n’est pas une bonne idée. Mais finalement, nos angoisses conservatrices, notre quasi-instinct maternel pour cette saga qui a bercé pour certains les débuts de leur amour du cinéma de genre, toutes ces inquiétudes se sont petit à petit dissipées au fil des minutes. Halloween arriverait presque à nous soigner des traumatismes infligés par les récents Massacre à la Tronçonneuse 3D, Amityville Awakening, par les quatrièmes volets d’Insidious et de REC, et autres Poltergeist remasterisés. Au contraire, il nous rappelle plutôt ce que l’on aurait tendance à oublier : dépoussiérer les vieux bibelots a parfois du bon. Sans ces ambitions de renouveau pour ces oeuvres d’une autre époque, il n’y aurait jamais eu de Dernière Maison sur la Gauche, de Colline a des Yeux, de Massacre à la Tronçonneuse. Et il y aura bel et bien un nouvel Halloween. Car Halloween est un Halloween. Un vrai Halloween.


Dés les premiers instants de générique, on reconnait cette citrouille tellement symbolique de son prédécesseur. Si la célèbre Jack’O’Lantern se putréfiait lentement autrefois, c’est l’effet inverse auquel on a droit cette fois : la citrouille meurtrie reprend forme et étincelle à nouveau. Le message est clair, l’ambition limpide. Déterrer, c’est littéralement ce qu’Halloween 2018 a décidé de faire de son propre mythe. Plus encore, c’est une vraie déclaration d’amour qu’il profère  à son oeuvre originelle. Halloween nous replonge dans les rues d’Haddonfield, au coeur des notes mythiques de l’inoubliable thème de John Carpenter. Quarante ans ont passé, et la plus meurtrière des fêtes d’Halloween a laissé des séquelles. Sur Laurie Strode, devenue grand-mère, et vivant dans le traumatisme constant des évènements de la Nuit des Masques. Sur son bourreau, enfermé entre les murs d’un asile psychiatrique et sous surveillance constante depuis son arrestation. Mais aussi pour le monde qui les entoure, dans l’incompréhension totale de ce massacre, de l’esprit insondable de Michael Myers. Face à son silence glacial, des tentatives de théories mènent certains à reconsidérer l’affaire sous un nouvel angle. Mais l’inexplicable ne s’explique pas. Le psychisme du psychopathe incarné demeurera aussi opaque que sa capacité à s’échapper lors de ses transferts d’unités. Et une fois le monstre lâché dans la nature, la nuit d’Halloween peut enfin battre son plein.

Si Laurie démontrera très vite qu’elle est bel et bien encore la battante d’autrefois, Myers ne semble pas particulièrement souffrir non plus de son âge avancé. Toujours aussi brutal et incisif, ses premiers instants de liberté s’avèrent sanglants. Parfaitement mis en scène, Halloween conserve la tension et la froideur de son prédécesseur et ne fait qu’accroitre son sadisme. Plus fidèle à lui même que jamais, le croquemitaine d’Haddonfield ne va pas faire de quartier, mettant à mort quiconque fera obstacle à sa route. Il tue littéralement comme il respire, sans se poser de question, sans en ressentir la moindre émotion, sans ciller face à aucune de ses victimes. Si ce n’est Laurie, peut-être. Bien qu’il ne soit plus question de leur lien familial, il ne fait pas le moindre doute qu’il la reconnait autant qu’elle le reconnait dés lors que leur chemin se croise à nouveau. L’heure de la revanche a sonné pour le duo mythique, et toute l’importance du traitement que le film accorde à la seule proie ayant échappé à Michael lui confère une force diabolique. Toujours justes dans leurs décisions, et tout particulièrement dans le portrait de Laurie essentiel à cette suite, les scénaristes ont du mal à cacher l’hommage permanent qu’il rendent à Halloween, à John Carpenter. Rempli de clins d’oeil à l’oeuvre originale, des petits détails cachés jusqu’aux grandes références assumées et parfaitement à leur place, Halloween donne cette impression d’intemporalité. Les années ont passé, mais l’âme de la saga ne s’altère pas. Au contraire, elle renaît. Même notre cher docteur Loomis continue d’exister malgré son absence, ingénieusement remplacé par son successeur aux allures de fanatique, dans un registre tout à fait compatible avec l'esprit torturé du plus célèbre des médecins de film de genre. Tout est finalement là, les ingrédients sont rassemblés et d’une richesse bien au-delà de ce qu’on aurait pu attendre d’une suite que l’on a du attendre si longtemps.

Bien qu’il renie la quasi-intégralité de la saga, et notamment son deuxième volet pourtant si souvent apprécié des adorateurs d’Halloween, cette nouvelle version de la suite de l’histoire de Michael Myers et Laurie Strode nous offre bien plus que ce qu’on aurait pu être en mesure d’espérer. Rarement un retour aussi impactant n’aura pu voir le jour au sein du cinéma d’horreur. Et rarement une saga ne l’aura autant mérité. Halloween 2018 est de ces films qui redonnent foi en cet art trop souvent bafoué du remake, de la suite, ou de la revisite. Une oeuvre qui réconcilie Michael Myers avec les sommets du cinéma de genre qu’il a déjà connu autrefois, et qu’il côtoie à nouveau, quarante ans après sa création. Preuve s'il y en avait besoin d'une, que les plus grands mythes sont immortels.

mardi 17 juillet 2018

Il y a tout juste dix ans, Pascal Laugier bouleversait le paysage du cinéma d’horreur français. Auteur et metteur en scène du traumatisant Martyrs, il rejoignait dans un vacarme assourdissant le clan pour le moins restreint des véritables cinéastes de genre hexagonaux. S’il existait jusqu’à ce jour deux autres productions dans sa filmographie - Saint-Ange, ghost-story sans grande saveur, et The Secret, thriller peut-être un peu trop ambitieux - aucune des deux n’incarne aussi fort son style, et son amour pour le cinéma de genre. Aussi loin que remontent leurs origines, des films d’horreur ont été conçus dans le presque unique but d’effrayer, par le biais d’histoires qui ne constituent finalement qu’un prétexte à cet aboutissement, à cette forme d’exutoire pour un public demandeur de sensations fortes. Si de grandes oeuvres ont pu ressortir de cette ambition créative, d’autres cinéastes ont modelé un cinéma de genre différent. Un cinéma dans lequel un scénario n’est pas simplement au service de l’horreur. Mais dans lequel l’horreur devient au contraire, l’instrument d’un scénario. Il serait difficile de trouver plus significatif que Martyrs pour incarner cette veine, cet état d’esprit, qui enterre définitivement toute notion de gratuité et de gore commercial. Dans une moindre mesure, certes, Ghostland s’inscrit à son tour dans ce type d’oeuvre incisive, percutante, et profondément ancrée dans la réalité.

En dix ans, Pascal Laugier n’a rien perdu de sa puissance visuelle et atmosphérique qui faisait, notamment, de Martyrs une oeuvre si particulière, si intime et si démonstrative à la fois. Une fois encore, il puise son inspiration et nourris son cinéma des tréfonds de l’âme et des entrailles de ses personnages. C’est l’humain, sous toutes ses formes, dans toutes ses conditions, qui ressort de Ghostland. La démence et la déviance de marginaux déséquilibrés rencontre l’instinct protecteur d’une mère pour ses enfants, tandis que les traumatismes incurables côtoient l’espoir et la résilience. Tout ce qu’il y a de pire, mais aussi tout ce qu’il y a de meilleur dans la condition humaine des personnages de Ghostland se matérialise et se transforme en une réelle oeuvre artistique. C’est aussi ça, le cinéma de genre. Faire naître des émotions de l’horreur et de la violence. Donner du sens et un symbole à cette obscurité. A l’heure où des spectacles de violence et d’horreur inouïe nous entourent sans besoin du moindre recours à la fiction, le talent et la virtuosité de certains cinéastes parviennent à nous communiquer des émotions aussi fortes, à travers des scènes purement fictives. Et c’est là toute la force de Pascal Laugier et de son oeuvre, qui nous emmène avec lui, aux côtés de Beth, Vera, et de leur mère, qui réussit à nous faire oublier en quelques minutes l’existence de Mylène Farmer. Tout juste arrivée dans leur nouvelle demeure héritée d’une tante décédée, on se retrouve plongés avec elles dans un décor macabre. Une maison de poupée à grande échelle, débordant de vieux jouets étranges, de meubles et de tableaux d’une autre époque, de poupées glauques aux allures toutes droit sorties des vieilles séries B horrifiques du siècle dernier. Laugier semble avoir tenu à installer son univers dans les meilleures conditions possibles, et n’a pas le moins du monde lésiné sur les détails. 


Par conséquent, c’est tout au long du film que l’on retrouvera petit à petit de nouveaux éléments chargés en symbole, toujours plus sources de pesanteur et d'angoisse. Quoi de plus malsain qu’un séquestreur d’enfants au volant d’un vieux camion de bonbons ? Qu’un diable en boite dissimulé derrière un miroir ? Probablement le duo de tortionnaires que l’on rencontre, qui plus est, très tôt dans le film. Si leur entrée en lumière est effroyable, tellement brutale et soudaine à la fois, la suite n’en est pas moins éprouvante. Chacune de leur apparition glace littéralement l’atmosphère, et la découverte progressive de leur apparence au fil des minutes leur confère une réelle aura monstrueuse. Le plus étourdissant, finalement, c’est l’instant où l’on se rend compte à quel point Pascal Laugier a vicieusement joué avec nos connaissances des codes, s’est délecté de notre anticipation de ce qu’il allait bien pouvoir faire de son scénario. Cette audace est brillante. Et cette audace fonctionne à merveille. Après avoir insidieusement emmêlé les codes et nos attentes, il nous lance finalement la réalité en pleine figure. A l’image de son film, brutalement, sans concession. Le choc est fulgurant, et l’intelligence d’écriture plus encore. Les éléments prennent subitement un tout autre sens, et nous entrainent encore plus profondément dans cette violence émotionnelle froide et incisive. Ghostland dégage une atmosphère d’une telle intensité, d’une telle authenticité, que le jeu d’acteur absolument remarquable conforte avec d’autant plus de force. Petit à petit, la distance s’amenuise, et on finit, nous aussi, par se sentir enfermés, tourmentés, aux côtés des trois femmes entre ces murs morbides. On se retrouve partagés entre le malaise envahissant de tout ce que nous évoquent leurs bourreaux, et la stupéfaction des révélations auxquelles on se retrouve confrontés.

Ghostland n’est pas un simple film d’horreur. C’est un drame psychologique, un drame familial, un film d’épouvante, et bien d’autres choses encore. Mais c’est surtout, pour un cinéaste ayant déjà marqué une première fois les esprits et le cinéma de genre français, l’exploit de réitérer cette claque, d’inscrire un nom de plus à la liste des meilleurs films d’horreur de notre pays. Malgré ses réticences pour toute forme de culture alternative, malgré l’académisme latent qui plane au dessus de son septième art, malgré son aversion malheureusement encore d’actualité pour la culture horrifique, la France abrite malgré tout des créateurs extraordinnaires, qui n’ont rien à envier à leurs homologues outre-atlantique. Ces cinéastes là, ont toute leur importance, et une place toute particulière dans le coeur des passionnés de l’horreur. Pascal Laugier ne fera certainement jamais l’unanimité, comme n’importe quel auteur qui sort des sentiers battus, qui se libère des poncifs, et qui ose proposer quelque chose de nouveau. Mais ce n’est pas un problème, au contraire. Ce sont ces films qui franchissent le stade du divertissement, ces films qui nous bousculent, qui laissent une trace. Chacun le vivra différemment, selon sa sensibilité, sa réceptivité, mais chacun le vivra profondément. Et c’est finalement ce qui fait de Ghostland, une nouvelle oeuvre magistrale du cinéma de genre.

samedi 14 octobre 2017

Vingt-sept ans ont passé depuis la sortie de la première adaptation des assassinats du plus célèbre des clowns maléfiques. Vingt-sept longues années, soit tout juste le temps dont a besoin notre sinistre Grippe-Sou pour revenir hanter ses victimes au fil des générations. Comment imaginer un plus beau symbole pour inaugurer cette première version cinématographique de l’un des plus grands romans de Stephen King ? Voilà bien des années qu’on l’attendait, ce véritable long-métrage. Une vraie oeuvre cinématographique, budgétisée, qui aurait enfin l’opportunité de rendre à l’un des plus emblématiques tueurs de la sphère horrifique ses lettres de noblesse. Et pour cause, difficile de ne pas se résoudre à admettre que la première adaptation qui a traumatisé toute une génération a pris quelques rides. Les premiers spectateurs ont grandi et sont devenus adultes, tandis que de son côté, l’univers de l’épouvante s’est étoffé et a continué sa route. Les frayeurs d’antan ont laissé place à cette forme d’admiration nostalgique, cette saveur que l’on aime toujours autant mais qui ne nous déclenche plus les mêmes montées d’adrénaline qui nous avaient tant marqué auparavant. Autant de raisons qui font que Ça ne pouvait pas rester un simple téléfilm. Ça avait besoin d’une seconde vie, d’une nouvelle bouffée d’air frais à la douce saveur des années 90. Ça a pris son temps, mais Ça est arrivé. 

Il y a certaines adaptations que l’on craint, parfois même dont on se passerais volontiers. Mais lorsqu’il s’agit des oeuvres de Stephen King, c’est une autre histoire. On ne compte plus les adaptations de ses romans désormais encrées dans le paysage incontournable du film de genre. Adapter Stephen King, c’est passer derrière  l’immortalité d’un Shining ou d’un Misery. Et c’est finalement sur les épaules d’Andy Muschietti qu’a reposé la renaissance de Pennywise. Après nous avoir gratifié d’un superbe Mamá il y a quelques années, sa présence derrière la caméra s’est avérée particulièrement audacieuse. N’en déplaise à Zombieland, Grippe-Sou n’est pas près d’être détrôné de son titre de clown le plus angoissant du cinéma. Et nous ne sommes pas prêts d’oublier non plus cette nouvelle visite au coeur de son royaume flottant.

Ça, c’est avant tout une histoire de générations, au sens propre comme au sens figuré. Il y a dans les personnages de cette nouvelle adaptation tout ce qui a fait le succès de Stranger Things, peut-être l’une des meilleures séries horrifiques depuis longtemps. Quitte à occuper le tiers de son film de scènes d’exposition afin d’introduire ses personnages, Andy Muschietti a su saisir ce qu’il fallait pour réussir à placer des enfants au centre d’un film d’horreur. Et ce n’est pas chose aisée. Si à l’époque, la pratique était plutôt rare et poussait souvent les réalisateurs à employer des jeunes adultes pour jouer le rôle d’adolescents, l’emploi des enfants dans le film de genre s’est démocratisé. Et on ne peut que contempler à quel point leur jeu d’acteur déborde d’authenticité. Ça ne fait pas exception à la règle. Malgré notre amour pour Pennywise, il serait bien malhonnête de ne pas reconnaître à quel point les sept enfants portent le film. Le cinéaste nous dévoile donc, un par un, la personnalité et le contexte qui entoure chaque membre du «  club des ratés ». Toujours justes et jamais caricaturaux, chacun d’eux est traité avec une sensibilité toute particulière, autant dans leur relation entre eux au sein de leur bande que dans leur relation avec le monde des adultes. Et ça fait du bien, un film qui ose mettre des enfants en réel danger, qui ose leur développer un background difficile et dérangeant, et qui ose véritablement les traiter au même titre que des adultes. Ca fait réellement du bien, un film qui approfondit leurs émotions et leurs échanges, aussi complexes puissent-ils être. Un film qui ne nous épargne ni les coups de poing politiquement incorrects de leurs tortionnaires à l’école, ni les mauvais choix que la peur les pousse à prendre, comme n’importe quel enfant les aurait pris à leur place. Il y a dans Ça cette volonté de recréer une vraie osmose de bande, ce lien très fort et ce vrai esprit de solidarité collective que le cinéaste et tout son petit casting arrive à retranscrire avec un talent incroyable. Toute cette petite troupe arrive à nous faire passer des rires à l’émotion en quelques secondes. Et bien au-delà de leur prestation, chacun d’eux sans exceptions s’accomplit pleinement au fur et à mesure du film.


Mais Ça, c’est aussi un style. Une rencontre inattendue entre l’épouvante et la poésie, sombre et macabre. Tout film d’horreur férocement commercial soit-il, Ça n’en est pas moins une oeuvre artistique débordante de personnalité. De la perfection des lieux de tournage utilisés pour reconstituer Derry, cette mythique petite bourgade perdue au fin fond des Etats-Unis, jusqu’aux looks vintage des personnages foisonnant de détails, en passant par la bande-originale old school qui saura néanmoins se faire suffisamment discrète pour laisser s’installer un malaise et une tension qui ne nous quitteront qu’une fois le film terminé. Andy Muschetti s’amuse en permanence avec les codes qui nous semblaient pourtant établis avant même que le film commence. C’est ainsi que l’on se retrouve au coeur de séquences où le méchant n’est pas toujours celui qui figure sur toutes les affiches. Le cinéaste entremêle des peurs primaires des plus terre-à-terre et la terreur des apparitions du clown que seuls les enfants peuvent percevoir. Un petit jeu complètement inattendu qui confère au film un impact et des enjeux bien plus profonds que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre. Pennywise prendrait presque une aura comparable à celle d’un Freddy Krueger, en puisant son pouvoir dans la peur de ses victimes à défaut d’aller les pourchasser dans leurs cauchemars. C’est donc dans un véritable univers sinistre et dérangeant que nous embarque le clown. Lui-même est une réussite esthétique absolue. Il ne s’agit pas seulement d’un costume ou d’un maquillage, mais de la façon dont il s’anime, de ses mimiques et de chaque parcelle de sa gestuelle qui nous fascinent et nous effraient à la fois. Au-delà du clown, Ça accumule des images d’une beauté et d’une puissance macabre folle. Complètement et définitivement folle. Certaines scènes risquent d’être difficiles à oublier. Et pourtant, c’est souvent avec des choses très simples que l’effet commence à opérer. Un ballon rouge flottant au milieu d’une bibliothèque, une vieux portrait accroché au mur, la pénombre d’une cave…

Jusqu’à une dernière séquence au fin fond des égouts d’une noirceur repoussante, qui incarnera malgré tout les plus belles et les plus poétiques images du film. Il y a des films comme ça, qui se construisent dans nos têtes un peu comme un parfum. Il y a la note de tête, cette première impression spontanée, les frissons et les émotions éphémères que l’on ressent tout au long de notre séance de cinéma. Il y a la note de coeur, cette identité qu’un film élabore au fur et à mesure de ses séquences, l’ambiance dans laquelle on se plonge progressivement. Et puis, il y a la note de fond, celle qui dure, celle qui restera une fois le générique de fin terminé. C’est un peu de cette manière que l’on peut ressentir Ça. Un savant mélange d’attentes et d’inquiétudes, de nostalgie et d’enthousiasme. Mais ce qu’il reste une fois les lumières rallumées, c’est cette sensation d’accomplissement, malgré la longueur presque inhabituelle du film et la densité de tout ce qu’il peut contenir. 

Un tel spectacle ajouté à une apparition de titre comme on les aime tellement, il n’en fallait pas plus pour faire le bonheur des amoureux du cinéma de genre. Ça n’est finalement ni plus ni moins que l’innocence d’une bande d’adolescents mise à l’épreuve par leur vie de tous les jours criante de vérité, et par l’appétit insatiable de celui qui incarne leur peurs les plus viscérales. Et comme dans toute bande d’enfants qui se respecte, leurs éclats de rire seront autant de la partie que les cris d’effroi qui mettent l’eau à la bouche de leur tortionnaire maquillé. Qu’aurait-on pu espérer de plus qu’un film d’horreur d’une telle maturité et d’une substance artistique aussi riche et pleine de sens ? Ne cherchez plus l’instigateur de la coulrophobie, il s’appelle Pennywise. Et il n’est pas prêt d’abandonner nos cauchemars.

jeudi 21 septembre 2017

A mille lieux des grosses licences qui peuplent presque exclusivement les salles obscures depuis le début de l’année en matière de cinéma de genre, émerge une petite production indépendante aux antipodes des succès commerciaux habituels. Tout droit sorti des studios nous ayant livré le majestueux The Witch il y a un peu plus d’un an, le premier film de genre du dénommé Trey Edward Shults s’est présenté à nous sous les apparences plutôt prometteuses d’un post-apocalyptique horrifique comme on en fait pas mal ces dernières années. Epidémie, survie et contamination semblaient être au menu, c’est du moins ce que la bande-annonce laissait penser. Toutefois, l’arrivée du métrage sur les écrans n’a pas été de tout repos. Presque autant encensé que décrié par la presse, abjectement accueilli par le public, It Comes at Night a très vite crée débat et, plus encore, aurait visiblement tendance à laisser une majeure partie de ses spectateurs sur le carreau. Et si le problème ne venait pas du film ? 

Inutile de se le cacher plus longtemps, It Comes at Night n’a pratiquement rien en commun avec la plupart des productions qui ont la chance d’être correctement distribuées en salles. En réalité, son seul point commun pourrait se résumer à une bande-annonce. Et pour cause, cette dernière ne reflète à aucun moment le contenu du film qu’elle était pourtant vouée représenter. Etablis au détriment de l’oeuvre, de mauvais choix de production vont une fois de plus contribuer à pousser leur propre film dans le précipice. Et ce n’est que le début de ce qui peut expliquer l’existence chaotique d’It Comes at Night. Ce deuxième film pour Trey Edwards Shults prend donc ses bases sur un malentendu conséquent. Malentendu que l’univers et le style du métrage particulièrement singulier ne risque pas de faire oublier, bien au contraire. Qu’en est-il concrètement une fois passé le générique de fin ? 

Arrivé sur les écrans en toute discrétion, It Comes at Night décide de sortir des sentiers battus et bouleverse littéralement la sphère horrifique de ces quelques derniers mois. Là où l’on aurait pu s’attendre à un scénario partagé entre l’explication du contexte et les péripéties des personnages, l’écriture réelle du film s’avère diamétralement différente. Sous la forme d’un quasi-huis-clos, Comes at Night se concentre exclusivement sur le cheminement psychologique des membres de la famille que l’on suit. Reclus dans une maison au milieu d’une forêt déserte, forcés de vivre au rythme des règles qu’instaure le père pour préserver leur sécurité, cette atmosphère post-apocalyptique pesante régit chacun de leurs faits et gestes. On en arrive donc à la condition sinequanone pour arriver à apprécier un tant soit peu le film : accepter la place que nous octroie le cinéaste. Là où la plupart des récits nous placent en spectateur omniscient et nous accordent un degré de conscience bien supérieur à ceux de la plupart des personnages en nous introduisant un contexte, en nous disséminant des indices et des informations, It Comes at Night prend le parti de ne rien nous dire. Plus exactement, de ne rien nous dire de plus que ce que les personnages savent, voient, et ressentent au fil du film. Il n’y aura donc aucune explication sur les évènements qui les ont conduit à se retrouver seuls dans cette maison. A aucun moment le cinéaste ne nous prendra par la main pour nous confirmer ouvertement les hypothèses qui apparaissent au fur et à mesure du scénario.

Ce qu’a cherché Trey Edward Shults à travers son film, c’est nous rappeler que la peur n’est pas toujours là où on l’attends. Il met en scène les différentes facettes de l’homme lorsqu’il se retrouve confronté à quelque chose qu’il ne connait pas, à un danger qui compromet sa propre survie. Autour du noyau incarné par la famille va se dessiner un panel d’émotions et d’instincts les plus primaires : de la compassion à la sincérité qui va leur permettre d’ouvrir leurs portes à des étrangers, jusqu’à la paranoïa et la peur de l’autre qui va petit à petit faire basculer l’équilibre qu’ils avaient retrouvé, jusqu’au point de non retour. It Comes at Night est d’une grande justesse dans les réactions purement humaines et dans les émotions qu’il met en avant, l’interprétation en est bien sûr à la hauteur mais le milieu dans lequel se déroule le film a lui aussi tendance à amplifier cette atmosphère sensorielle et intimiste. Le cinéaste fait le choix de ne sortir pratiquement jamais de l’enceinte de la maison, mais il parvient à donner à ses pièces sombres et étriquées une âme et une teneur symbolique très forte. S’il ne mérite pas un tel lynchage, le film reste malgré tout loin, très loin d’être parfait. On aura notamment du mal à comprendre les quelques jump-scares superflus et affligeants qui détruisent plus l’ambiance qu’autre chose, ni même certaines séquences de rêves qui finissent par basculer dans l’incompréhension et la difficulté, pour nous spectateurs, à discerner la fiction de la réalité. Faire un film qui mobilise l’imagination et la réflexion pour être lisible n’a jamais été une mauvaise chose en soi, tant qu’on ne tombe pas non plus dans une espèce de surenchère onirique prétexte à tourner des scènes esthétiques sans qu’elles ne prennent de sens. Heureusement, It Comes at Night parvient à ne pas trop s’égarer et maintient globalement sa cohérence jusqu’à son plan final, toujours suggéré mais très fort en signification et particulièrement chargé d’émotion.  

On en arrive donc à la cruelle question : Pourquoi vouloir à tout prix vendre un film pour ce qu’il n’est pas ? It Comes at Night n’est ni plus ni moins que l’exemple parfait d’un film à festival, un film au public ciblé qui a précisément besoin de l’esprit ouvert et malléable des amateurs du genre pour fonctionner. Le film a réellement besoin d’un public ouvert à l’expérience et à la nouveauté. Bien d’autres avant lui ont fait les frais de la grande distribution et il est clair qu’elle n’est malheureusement pas prête à accueillir des oeuvres qui ont du mal à rentrer dans le moule. Des diffusions occasionnelles auraient tellement pu profiter davantage au film qui aurait pu s’épargner l’incompréhension du grand public. Et qui n’aurait finalement que mieux fonctionné par la suite. Mentir sur ma marchandise est donc malheureusement devenu l’une des seules solutions possibles pour avoir la possibilité d’exporter des films de genre qui dénotent des productions majoritairement diffusées en salles. Si cette ambivalence marketing a ouvert les portes des salles à Trey Edwards Shults, c’est également elle qui risque de les lui fermer bien plus vite qu’espéré. 

Dans le vaste univers qu’est celui du film de genre, certaines approches ne sont pas toujours celles que l’on soupçonnait. Parfois, ce n’est pas en empruntant le chemin le plus simple que l’on peut accéder à l’entièreté du message qu’une oeuvre cherche à faire passer. Et c’est une très bonne chose. Réduire le cinéma au divertissement serait abominablement réducteur : le cinéma est avant tout une expérience. Expérience dans laquelle nous sommes plus ou moins invités à participer. Bien sûr, il y a des choix discutables, des petits détails dont on aurait pu se passer et d’autres qui auraient permis de rendre l’ensemble plus clair et plus lisible, mais à aucun moment, le manque d’explications fait d’It Comes at Night un film dans lequel il ne se passe rien, bien au contraire. S’il y a malgré tout quelque chose qu’on peut lui reprocher, c’est son exploitation, qui n’est le fruit que d’une succession de mauvais choix. Et pourtant, comment reprocher à un cinéaste de vouloir délivrer son film avec la plus grande amplitude possible ? Quoi qu’il en soit, It Comes at Night est loin du film vide de sens que bien trop ont pu décrire. Une oeuvre glaciale et épurée qui dépeint froidement les méandres de l’humain face à ses propres démons.

mercredi 26 octobre 2016

---Bercé par les sombres mélodies de John Carpenter et par la démarche nonchalante des morts-vivants de Georges Romero, James Wan est l’un des derniers enfants prodiges du cinéma horrifique moderne. James Wan, c’est un univers à part entière. Un univers fertile dont on ne fera sans doutes jamais le tour, tant il a de secrets à révéler. Si toutefois il fallait le définir, il suffirait de fermer les yeux. Et d’imaginer une pièce sombre. Un lieu perdu dans le vaste monde obscur de nos peurs enfantines les plus viscérales. Dans cette pièce, une armoire. Dans cette armoire, l’angoisse du fond tapis dans l’obscurité et des craquements du bois pendant la nuit. Dans cette pièce, un lit. Celui sous lequel monstres et croquemitaines se cachaient dans nos cauchemars, celui dans lequel on se réfugiait pour se sentir en sécurité. Dans cette pièce, une porte. Celle qu’on laissait entre-ouverte pour ne pas avoir peur. Dans cette pièce, une fenêtre. Celle à travers laquelle on observait l’ombre des branches d’arbres prendre vie pendant les longues nuits d’orage. Cette pièce, et l’infinité de l’imaginaire qu’elle renferme, c’est un peu le monde dans lequel James Wan respire lorsqu’il saisit sa caméra. C’est la veine qui alimente sa filmographie de l’épouvante, sa source inépuisable d’inspiration. Ce sont nos peurs primaires qui le fascinent, ces angoisses profondément humaines que l’on ressens tous, un jour ou l’autre, petit ou grand. C’est finalement là tout l’art de James Wan. Sans jamais se contenter de nous délivrer un spectacle prêt à consommer, il nous octroie un rôle à part entière dans sa mise en scène, en faisant appel à nos propres démons intérieurs, à notre imagination, à nos repères. Au même titre qu’Insidious, la franchise Conjuring incarne la représentation parfaite de la signature du cinéaste. Les Dossiers Warren comme Le Cas Enfield, les deux métrages partagent cette même essence. Références du monde de l’occulte, les expériences d’Ed et Lorraine Warren - aussi sujette à débats puissent-elles être - et leurs apports dans l’univers ésotérique font du couple un merveilleux puit d’inspiration cinématographique.

Revenons donc quelques années en arrière. Il y a trois ans précisément, la sortie de Conjuring premier du nom sonnait comme une véritable claque. Les lumières des salles s’étaient éteintes depuis quelques minutes seulement, et notre sang se glaçait déjà face à son apparition de titre sombrement vintage, typiquement le genre de  petit détail prompt à faire battre le coeur d’une éternelle amoureuse du genre. Et ce n’était tellement rien à coté de ce qui allait venir ensuite. Après nous avoir présenté les Warren en pleine séance de spiritisme pour une entrée en matière déjà emblématique de la signature Conjuring, ce premier chapitre de la vie du couple nous emmène à la rencontre de la famille Perron, le jour de leur emménagement dans une nouvelle demeure, cousine éloignée de la tristement célèbre maison d'Amityville. James Wan prend le temps de poser ses marques, d’ériger la charpente de ce qui deviendra quelques minutes plus tard son petit théâtre des horreurs. Il installe petit à petit son climat d’épouvante dans la banalité de la vie quotidienne, dans cette sphère familiale qui nous parait tellement familière et rassurante à la fois. Et c’est là sa première force. The Conjuring ne nous délivre pas qu’une simple maison hantée. Aux traditionnels miroirs qui se décrochent des murs, portes qui claquent et pendules qui s’arrêtent de fonctionner chaque nuit à la même heure, vient se greffer une peur toute autre, une peur reliée aux membres de la famille que l’entité démoniaque prend plaisir à morceler sadiquement tout au long du film. C’est ainsi qu’une petite fille somnambule arrive à nous terroriser en se balançant contre la porte de son armoire pendant que sa mère sombre dans la folie sous l’emprise du démon et s’en prends à ses enfants. 

Et puis, il y a ces scènes. Ces scènes de pure terreur comme on en voit finalement pas si souvent, ces scènes qui nous rappellent pourquoi on aime le cinéma de genre, ces scènes qui nous rappellent pourquoi on aime avoir peur. Et c’est toujours dans la plus grande simplicité et dans ses séquences les plus épurées que l’effet James Wan opère. Une petite fille terrifiée sur son lit, dans l’obscurité de sa chambre, le regard fixé vers l’encadrement d’une porte. On ne voit rien, on n’entends rien, on ne fait que ressentir sa terreur à travers sa voix et son regard. En une séquence, The Conjuring nous livre une démonstration tant brillante que cauchemardesque du pouvoir de la suggestion. Bien sûr, le film met également sa palette d’apparitions monstrueuses iconiques au service de l’ambiance et de l’angoisse, mais chacune d’elles prends vie au sein d’un univers esthétique tellement riche et tellement renversant qu’elles n’en restent pas moins efficaces. L’esthétique, c’est aussi ça James Wan, c’est aussi ça The Conjuring. Le cinéaste s’autorise tout en matière de mise en scène : des travellings-loopings au plafond jusqu’aux caméras qui traversent les murs et les étages. Cette réalisation immersive et tellement belle à la fois offre finalement un écrin parfait à l’essentiel, à ce qui fait toute l’identité de The Conjuring : les Warren. L’alchimie parfaite qui règne entre la brillante Vera Farmiga et Patrick Wilson est telle que la relation du couple prend une place aussi importante que la ghost-story au centre du long-métrage. Le duo offre une réelle dimension supplémentaire au simple film d’horreur que The Conjuring aurait pu être sans eux. On ne vit pas seulement le film à travers les yeux des habitants de la maison, on le vit à travers Ed et Lorraine, à travers leur expérience et leur sensibilité. Et c’est probablement cet aspect très humain qui fait toute la différence, cette manière d’exploiter avec un affect tout particulier ces deux personnages emblématiques, et de commencer à construire leur histoire. Et c’est en offrant à The Conjuring une écriture et un traitement de personnages sensible et abouti que James Wan balaie radicalement une vision trop souvent erronée et réductrice du film d’épouvante : on est face à un véritable film construit avant même d’avoir affaire à un film d’horreur. 

----Trois ans ont passé et le succès du premier chapitre a offert à James Wan l’opportunité de lui écrire un petit frère, pour notre plus grand bonheur. On retrouve donc Ed et Lorraine en pleine remise en question de l’exercice de leur éternelle chasse aux démons et autres esprits maléfiques. Encore plus que son prédécesseur, The Conjuring 2 prends le temps de développer le couple et les enjeux de leur profession et de tout ce qu’elle implique. Et c’est avec pudeur et retenue qu’il le fait à nouveau, en nous délivrant de simples bribes de passé et de présent, riches de sens, sans jamais s’étaler et tomber dans de l’explicatif inutile, ni même du background qui ne serait pas utile à la trame narrative du film - Ce n’est plus un secret, tout est toujours étroitement relié dans The Conjuring -. Le duo est finalement mis à l’écran comme il a l’air de fonctionner, naturellement et sincèrement. Et c’est comme ça qu’on l’aime. Et puis, il y a Le Cas Enfield. Comme l’était la famille Perron, le poltergeist d’Enfield est un des faits divers les plus étudiés dans l’univers des phénomènes paranormaux, notamment parce qu’il est l’un des seuls à pouvoir attester de son authenticité grâce à des photographies et des vidéos très déstabilisantes bien qu’elles partagent encore aujourd’hui les opinions des plus sceptiques aux plus convaincus : psychose familiale, supercherie ou véritables manifestations de quelque chose qui nous dépasse. Ces divergences d’opinion, James Wan prend le parti de les développer tout au long de son métrage en confrontant la famille victime dés les premiers évènements anormaux au scepticisme de la presse et des autorités. 

Encore plus que son prédécesseur, Le Cas Enfield se concentre sur les relations et l’évolution des membres de la famille. Issus d’un milieu assez défavorable cette fois, c’est une mère célibataire complètement épuisée et ses quatre enfants que l’on rencontre, plus particulièrement Janet, une petite fille d’une douzaine d’années autour de laquelle semblent se concentrer les phénomènes inexplicables de plus en plus violents. Une chose est sûre, l’amour de James Wan pour ses grands classiques horrifiques n’a fait que s’accroitre depuis la dernière fois. De sa bande-son old school à ses décors seventies à souhaits, The Conjuring deuxième du nom est une nouvelle déclaration d’amour au cinéma de genre. Mais avant même d’aimer les grands maîtres du genre qu’il maitrise à la perfection, James Wan aime ses personnages. C’est un fait, c’est une certitude, ça se sent et ça se ressent. Il les construit, il les approfondis, avec justesse et sensibilité . On se sent proche d’une mère qui contrairement à l’archétype, sort de chez elle en hurlant, les enfants sous le bras, à la première vision d’un meuble qui traverse une pièce. On se sent proche d’une petite fille qui n’a pas seulement peur d’un démon, mais du regard des autres au point de ne même plus pouvoir sortir de chez elle. Et toutes les festivités horrifiques qui suivent n’en sont que plus éprouvantes. Si quelque chose n’a  pas changé entre le premier et le deuxième film, c’est la peur. Le Cas Enfield est tout aussi terrorisant que son prédécesseur. On pourrait se demander comment un cinéaste au style et au caractère aussi marqué peut ne jamais cesser de se réinventer, peut continuer à nous emmener avec lui dans son jeu sadique et constant de brouillage de nos repères, de remise en question des codes que l’on croit pourtant connaitre et maitriser, jusqu’à ce qu’il décide de les soumettre à rude épreuve. Une fois de plus, on se retrouve face à des séquences d’une sobriété interpellante qui nous recroquevillent pourtant littéralement sur notre siège. Qu’y-a-t-il de plus effrayant qu’un jouet qui s’anime au beau milieu de la nuit ? Que la manifestation de l’esprit d’un vieil homme attaché au fauteuil dans lequel il est mort ? Une fois n’est pas coutume, James Wan trouve toujours matière à répondre à ces questions. Sans jamais nous laisser de répit, sa maitrise de l’effroi et de l’imagerie noire et malsaine font de ce deuxième Conjuring un film d’horreur fourmillant d’idées et de concepts tellement effrayants et tellement dérangeants à la fois. Et c’est la petite Janet, alias Madison Wolfe, qui nous délivre l’une des plus impressionnantes prestations d’enfant-acteur dans le cinéma de genre depuis des années. Notre cher monsieur Wan sait finalement parler aux éternels épris du film d’épouvante autant qu’il sait impressionner les plus novices en la matière. The Conjuring premier et deuxième du nom sont les produits de l’alchimie macabre entre les codes ancestraux du cinéma de genre, une immense dose de sensibilité, et un sens de l’esthétique horrifique hors du commun. Et c’est précisément cette alchimie parfaite qui fait des deux premiers chapitres de Conjuring de vrais petits chefs d’oeuvres du plus sombre des septièmes arts.

vendredi 30 octobre 2015



L'INTRUS. La peur est bien souvent l’expression la plus humaine face à l’inconnu. Elle prend forme à  l’instant-même où l’on sort de sa zone de confort, de ses habitudes, de ses repères, cet instant précis où l’adrénaline nous gagne. Une peur primaire, une peur crue, c’est précisément cette peur que Bryan Bertino est parvenu à rendre concrète avec THE STRANGERS. Un petit film d’épouvante sans grande prétention qui n’a pourtant même pas eu la chance de rencontrer son public dans les salles obscures françaises. Pourquoi donc The Strangers ? Parce qu’il illustre la peur de l’intrus dans sa plus simple forme, et peut-être même l’une de ses plus heurtantes. Oui, il s’agit d’un des scénarios les plus basiques et les plus réchauffés du genre. Oui, on pourrait croire sur le papier à un remake de Ils non assumé. Et pourtant, il n’en est rien. De l’extrême simplicité de sa trame de départ - un couple, une maison, des intrus masqués - , The Strangers envoie voler dés ses premières minutes les codes habituels du home invasion. Là où on nous présente la plupart du temps le parfait petit couple dans son parfait environnement et sa non-moins parfaite banalité quotidienne, Bryan Bertino choisis d’introduire ses deux acteurs de choix dans un contexte froid et antipathique. Liv Tyler et Scott Speedman peinent à se décrocher un mot et le malaise du couple se dessine d’autant plus à leur arrivée dans la maison. Le sol jonché de pétales de roses et des regards gênés reflètent la cassure récente et brutale du couple qu’un flashback nous confirmera par la suite. Malheureusement les problèmes ne font que commencer. Trois coups à la porte, et tout bascule. Comment réagir face à des inconnus dont on ignore les motivations ? Comment se sentir en sécurité dans une maison isolée en pleine nuit ? Bertino prends un malin plaisir à nous terroriser en y répondant à sa manière. Le silence glacial qui suit un bruit inquiétant n’est-il finalement pas encore plus effrayant que le bruit en lui-même ? La voilà la veine de The Strangers, la subtilité et l’aspect psychologique poussé à son paroxysme. Bien sûr, on retrouve certains codes du survival, mais tellement bien utilisés. De l’utilisation fréquente d’une caméra fixe pour nous retirer notre point de vue omniscient et tellement rassurant de spectateur, à des séquences silencieuses aussi éprouvantes que les moments de violence, tout est millimétré pour nous faire ressentir l’étouffement et l’enfermement des personnages que l’on suit. The Strangers est un petit exercice de style à lui tout-seul, et fonctionne grâce à sa symbolique presque aussi effrayante que les faits relatés. La terreur apparentée à une famille, le trio de tortionnaires est d’autant plus dérangeant qu’il ne conserve rien des serial killer et autres dégénérés habituels du genre. D’autant plus que nous n’aurons pas plus d’explications concrètes sur les raisons de toutes les horreurs auxquelles l’on aura assisté. Et c’est finalement le pire, le plus effrayant du métrage. The Strangers n’est ni plus ni moins que l’un des films qui nous rappelle pourquoi on aime tellement le cinéma de genre. Pas simplement pour ses capacités à nous effrayer non loin de là, pour tout cet univers débordant propre au genre, pour ces acteurs qui sont poussés à se dépasser, pour cet art incroyable du symbole, du non-dit, de la suggestion. Pour ces réflexions qui nous marquent et nous restent en tête. Sûrement le plus abouti et le plus passionné des home invasion de ces quelques dernières années.

LE MONSTRE. Ou celui qui passe le plus clair de son temps caché sous le lit ou au fond du placard. Voilà une peur qui puise ses sources dans l’enfance mais qui quelque part ne nous quitte jamais totalement, il n’y a que les monstres qui changent au fur et à mesure des années. Si un cinéaste a parfaitement réussi à inscrire cette angoisse mythique viscérale sur une pellicule, c’est bien Christopher Smith. Avec CREEP, le film de monstre prends toute sa dimension. Un premier degré intangible pour un petit chef d’oeuvre de l’épouvante. Pour ce faire, le cinéaste pose ses caméras dans un lieu qui fait le quotidien de bon nombre de gens, un lieu rassurant et inquiétant à la fois lorsqu’il est victime de ses propres légendes urbaines. Hantises, assassinats, populations cachées et stations désaffectées, le métro londonien n’est pas un lieu comme les autres. Que ferait-on si l’on se réveillait en pleine nuit au beau milieu d’une station déserte ? C’est la situation à laquelle va être confrontée la - presque - seule et unique protagoniste du film, Kate, incarnée par une Franka Potente brillante dans son rôle de petite bourgeoise snob et attachante à la fois. Elle se réveille, par terre et à priori seule après avoir raté sa dernière correspondance. L’entrée en matière que nous propose le cinéaste est particulièrement intelligente : la première menace n’est pas du tout celle à laquelle on s’attends, et la transition de l’aspect terre à terre au véritable survival monstrueux opère parfaitement bien. Creep ne s’attarde pas bien longtemps sur de quelconques introductions, on cerne très vite ce que l’on doit savoir du personnage et cela nous suffit largement. Aussi, l’angoisse et l’inquiétude de ce que l’on ne peut pas voir nous gagne presque aussi vite que l’héroïne. Bruits, silhouettes, sensation d’être constamment observé, on découvre progressivement la chose qui rôde dans l’obscurité au fur et à mesure que Kate descends et arpente les entrailles de la station déserte. Et c’est comme ça que le film d’ambiance feutré des premières minutes laisse place à une pure et simple descente aux enfers. Kate se rends vite compte qu’elle n’est en réalité qu’une proie sur le terrain de chasse d’une créature dont les quelques premiers aperçus nous glacent littéralement le sang. Et c’est lors de l’une des scènes les plus marquantes du survival que l’on découvre de très près et en pleine lumière, à qui, ou plutôt à quoi on a affaire. Là où la plupart auraient pris le parti de rester dans la suggestion du monstre la majeure partie du film, Creep n’a pas froid aux yeux et s’assume délibérément. Au point même de délaisser son héroïne quelques minutes pour suivre les pas de ce croquemitaine d’un tout nouveau genre répondant au doux nom de Craig, un monstre terrorisant comme l’on en fait rarement. Et c’est là toute la force de Creep. Christopher Smith nous met face à quelque chose d’inconnu et d’incompréhensible, pour finir par nous forcer à le comprendre. Craig n’est pas simplement un monstre, c’est un monstre humanisé qui arrive dans le dernier quart d’heure à nous faire ressentir bien plus que de la peur ou du dégoût. Creep est finalement bien plus qu’un film de monstre. Et c’est sûrement l’un des plus marquants coups de maîtres de l’horreur moderne. Un survival qui s’assume jusqu’à la fin, malsain, viscéral, mais tellement humain à la fois.

LE FANTOME. S’il y a bien un thème récurrent dans le cinéma de genre, c’est la ghost-story. A l’instar des films de monstres, on ne compte même plus le nombre de cinéastes faisant appel de près ou de loin à ces entités chaque année. Comme toujours lorsqu’on use et abuse d’un même filon, on se retrouve finalement avec un charmant cocktail de réussites et de ratages. Si certains s’y sont frottés et ont malheureusement ridiculisé nos pauvres amis fantômes, d’autres ont su tirer le meilleur de ce sujet, devenu aussi banal que délicat, mais qui fera toujours débat, derrière comme devant la caméra. C’est le cas de James Watkins, - petit prodige ayant signé de sa main l’inoubliable Eden Lake - qui rempilait il y a de ça trois ans pour un deuxième film d’horreur, LA DAME EN NOIR. Le fantôme a été abordé sous ses formes les plus multiples et variées de la naissance du cinéma de genre jusqu’à l’heure actuelle. Il a fait cauchemarder des générations entières de salles obscures, a révolutionné bon nombre de codes du film d’épouvante. Le fantôme est profondément ancré dans la culture horrifique, si bien qu’il devient de plus en plus délicat de s’y pencher sans défrayer les critiques lassées. James Watkins a tenté sa chance, et ô combien il a bien fait. Pourquoi le fantôme fait-il si peur au cinéma ? Parfois mille fois plus que n’importe quelle créature sanguinaire ? La ghost story est souvent l’un des sous-genre qui fait le plus appel à notre instinct de spectateur, à la peur de ce que l’on ne voit pas. A la peur de ce qui n’est pas présent à l’écran mais qui y figurera, on le sait, d’ici quelques secondes, minutes peut-être. La Dame en Noir réponds parfaitement bien à cette définition et s’est directement fait une place au sein des films d’épouvante les plus effrayants de la décennie. On retrouve notre Daniel Radcliffe bien aimé, dans un rôle bien plus mature et bien plus sombre que là où on pouvait l’attendre : dans la peau d’un personnage torturé aux nombreuses aspérités, la charge émotionnelle qu’il apporte au film contribue largement à sa réussite. Si l’acteur se révèle brillant, on peut en dire autant du travail opéré sur le cadre et les décors du métrage. La Dame en Noir fait partie de ces petits bijoux d’esthétisme, dans lequel chaque plan est chargé de symbole, dans lequel chaque parcelle de l’univers a une réelle cohérence. Mais ce n’est pas juste beau à regarder, c’est surtout et avant tout un moment de peur intense et permanente, une angoisse perceptible qui nous ronge parfois pendant de longues minutes. Ce qu’il y a de plus effrayant, c’est cette capacité à mystifier parfois les plus banals éléments du décor. Une chaise à bascule, une porte qui grince, un jouet. Comme beaucoup avant lui, Watkins rend la tension d’une séquence à la limite du supportable presque sans le moindre effet. Il cultive son atmosphère grâce à ses décors, grâce à sa musique, grâce à l’ingéniosité de sa mise en scène. Et c’est toute cette majestuosité sinistre qui donne au métrage une identité bien propre, malgré son scénario plutôt conventionnel. Avec La Dame en Noir, la Hammer renaît de ses cendres et le fantôme confirme que son heure au cinéma est encore loin d’être passée. Un film d’horreur beau et macabre à la fois.

L'OBSCURITE.
Et peut-être la peur la plus primaire qui soit. Rares sont les enfants qui échappent à la peur du noir, et rares sont les adultes qui arrivent à totalement s’en détacher en grandissant. Le noir est finalement l’une de nos plus grandes sources d’imagination, c’est bien pour ça qu’il en devient souvent notre plus grande source d’angoisses. L’obscurité est presque omniprésente dans le film d’horreur, c’est la plupart du temps son essence-même, indirectement ou pas. Le noir fascine autant qu’il effraie, et le noir inspire. Neil Marshall a fait de cette obscurité le caractère principal de son plus gros succès, THE DESCENT. Comment un huis-clos en milieu naturel a-t-il pu autant défrayer la chronique au point de devenir une référence du cinéma de genre dés sa sortie ? Film d’horreur cent pour cent féminin, The Descent nous plonge dans les méandres des cavités souterraines que notre groupe de ferrues de spéléologie part explorer. Plus les minutes passent, et plus ces cavités sombres et sinueuses respirent les méandres des êtres humains qu’elles accueillent. The Descent, c’est finalement l’histoire de six jeunes femmes prises au piège sous terre et confrontées au pire : l’horreur humaine, l’horreur de la nature et l’horreur… Tout court. Ce qu’elles vont y découvrir, ce ne sont pas simplement des monstres ou des lignes de vie coupées, ce n’est pas seulement jusqu’où la nature peut aller, c’est bien plus que ça. Jusqu’où l’être humain peut aller ? Jusqu’où pourrait-on être poussé, dans un seul et unique but : la survie ? Jusqu’où sommes nous si éloignés de la bestialité de la nature ? The Descent est un film d’horreur d’une violence inouie, un film entier, un film à vif. Un spectacle macabre dans lequel l’obscurité d’une grotte reflète finalement l’obscurité de l’âme humaine, autant que les monstres reflètent ses propres démons intérieurs. C’est la raison pour laquelle Neil Marshall signe un film d’horreur avant même de signer un film de monstres. The Descent n’est pas un film qui se décrit, c’est un film qui se ressent, une expérience dans laquelle on se retrouve prisonnier, au même titre que les protagonistes, une expérience qui mettra mal à l’aise même les moins claustrophobes. Mais c’est avant tout un film d’un réalisme et d’un premier degré effroyable, dans tous les sens du terme. Une leçon de style, un exemple d’originalité, et de technique : rarement un film tourné dans ce qu’il est censé être le noir complet n’aura été aussi lisible et n’aura profité de lumières aussi justes et parfaitement dosées. Ce survival en milieu naturel est finalement et de loin l’un des plus immersifs et l’un des plus traumatisants du genre, quelque soit son niveau de lecture. Rares sont les films de genre aussi impitoyables avec leurs personnages… Et leurs spectateurs. The Descent fête seulement ses dix ans et n’a pas attendu autant pour devenir déjà culte.

LE CROQUEMITAINE.
Comment évoquer Halloween sans penser à celui qui a traumatisé toute une génération ? A cette peur irrationnelle qui vis pourtant dans l’imaginaire de toutes les cultures. Michael Myers incarne le croquemitaine par excellence. Bien plus qu’un classique du cinéma d’épouvante, HALLOWEEN a marqué le septième art de par ce qu’il représente : l’incarnation du mal personnifié. Rob Zombie a revisité ce mythe de l’horreur il y a quelques années, il l’a travaillé et l’a réécris pour lui donner une toute nouvelle dimension. Si les plus conservateurs ne cautionneront en rien cette nouvelle adaptation, le film mérite que l’on s’y attarde. Halloween nouvelle génération est une relecture totale et intégrale du mythe de Carpenter qui parvient à rendre au plus célèbre des croquemitaines son aspect effrayant que l’oeuvre originale perds peu à peu avec les années. Rob Zombie nous promettait de remonter aux sources du mal, et c’est précisément ce qu’il se passe. Halloween démystifie Myers tout en renforçant son aura sinistre et malsaine. Il nous donne ce que John Carpenter nous avait refusé : les moyens de comprendre pourquoi, comment Myers est devenu ce qu’il est. Comment ? En transformant le simple remake prévu en une forme de préquelle. Là où Halloween, premier du nom, ne nous montrait que quelques secondes du passif du croquemitaine, Zombie fait de son enfance une partie complète de son métrage. Sans jamais prendre de gants, il nous met face à la déshumanisation et aux fondements d’un monstre. Le style du cinéaste ne nous est pas épargné, mais se révèle essentiel et en totale adéquation avec ses intentions : Halloween est un film brutal, violent, radical. Une caméra au bord de la crise de nerf, des dialogues crus et des scènes de meurtres toujours plus glauques et gores, on est maintenant bien loin de l’esthétisme du film original. De l’insalubrité du lieu de vie de Myers enfant, aux sombres activités de son semblant de famille, on est plongés au coeur de ce qui fera de lui quelques années plus tard un psychopathe habité par ses folies meurtrières. Et c’est cette démence décortiquée qui donne toute sa puissance à ce nouveau volet pourtant si diamétralement différent de la saga culte. Zombie retire tout l’aspect presque fantastique de son prédécesseur et y injecte une noirceur et un réalisme macabre. C’est une toute nouvelle ère pour notre croquemitaine préféré qui en retire finalement un nouveau souffle de vie. Cet Halloween moderne débarrassé de toutes limites et de toutes conventions s’avère finalement un concentré de malaises et de peurs plus malsaines les unes que les autres. Un remake osé mais pas moins brillant, mais surtout un remake nécessaire. Le croquemitaine au masque livide n'a définitivement pas finis de nous faire frémir.

mardi 14 juillet 2015


Alors que les réseaux sociaux submergent chaque jour un peu plus notre vie quotidienne, un film d’horreur d’un tout nouveau genre tente de venir perturber leurs plus friands utilisateurs. Unfriended vient chambouler à première vue quelques unes de nos plus banales certitudes. Et si nous devions nous méfier de la machine à laquelle on voue une confiance quotidienne ? Et si nos logiciels se retournaient contre nous ? Difficile pourtant d’entretenir beaucoup d’espoir en rentrant dans la salle d’un film d’horreur dont la bande-annonce circule en boucle sur M6 Replay. Mais comme pour toute sombre cinéphage qui se respecte, même les moins prometteurs du genre méritent une petite chance. Unfriended n’a pas échappé à la règle.  

Ce nouveau film d’horreur connecté estampillé Blumhouse profite d’une sortie quasiment simultanée avec deux des très grandes attentes horrifiques 2015 mais n’a finalement pas de quoi rougir. N’en déplaise aux conservateurs trop bornés, il est bel et bien possible de faire du bon avec du moderne. Il est possible de glacer l’échine d’un spectateur face à un écran d’ordinateur. Et c’est bel et bien pour ça qu’on aime tant le cinéma, pour sa capacité à évoluer et à s’adapter en permanence aux nouvelles technologies et aux nouveaux moyens mis à disposition de ses créateurs. Voilà une vision qui échappe bien trop souvent à la haute-sphère de la presse cinématographique, et c’est bien dommage. Sous ses airs amateurs et simplistes, Unfriended nous dévoile finalement une réflexion considérable, tant sur la forme que sur le fond. L’ère du film d’horreur 3.0 est arrivée. Fermez vos portes à double tour, tirez les rideaux, et surtout, éteignez votre ordinateur. Après l’épuisement progressif du found footage dans les plus récentes sorties horrifiques, le soviétique et illustre inconnu Levan Gabriadze nous propose un support plutôt déstabilisant dans une salle de cinéma, le Skype footage. En effet, Unfriended se résume à un seul et unique plan séquence d’une heure trente sur le screenshare made in Apple de Blair Lily, une adolescente américaine. Au programme de la soirée, une visioconférence sur Skype avec ses amis du lycée. Le quotidien lambda d’une lycéenne lambda, rien de plus. Ou presque. Comment ne pas s’endormir devant la conversation de six adolescents à première vue des plus ordinaires ? Le cinéaste nous concocte une réponse des plus réussies. Et l'on en arrive donc à l’une des plus grandes qualités à laquelle Unfriended peut prétendre : la force de son réalisme.


C’est un film qui nous parle, dans tous les sens du terme. De sa première à sa dernière seconde, le film nous installe dans ce qu’il y a de plus familier et commun chez la plupart d’entre nous. Une fenêtre Skype, des iMessages, un navigateur internet, une vidéo Youtube, quelques réseaux sociaux. Des moindres détails de clics aux basiques réflexes de consommateur informatique du quotidien, tout est retranscrit avec la plus grande des cohérences. Si ce climat peut paraître rassurant au premier abord, une autre sensation nous gagne petit à petit, celle de l’indiscrétion, presque du voyeurisme à laquelle nous confronte l’écran. D’autant plus lorsque les premières images du film nous exposent l’histoire de Laura Barns, une jeune lycéenne, un an après son suicide. On apprends donc que sa mort tragique est intimement liée à la diffusion d’une vidéo compromettante et aux violentes attaques sur les réseaux sociaux en ayant débouché. Le ton est donné. Et ce qui s’apparentait initialement à une banale conversation à plusieurs va doucement dériver vers quelque chose de beaucoup plus malsain… La source ? Un mystérieux participant anonyme à la conversation. Hacker, bot, trojan ? Impossible pour nos six amis de connaitre l’identité de l’intrus, impossible de le supprimer de la conversation. Et ce n’est que le début des ennuis. Unfriended opère quelque chose d’assez stimulant, qui n’est autre que la transposition virtuelle des codes du film d’horreur. L’habituel jeu du chat et de la souris propre au slasher est entièrement adapté au support numérique, le suspense devient palpable au travers d’un clic, d’un temps de chargement, d’un lag de connexion internet. Et c’est bien là ce qui fait toute l’ingéniosité technique du film. De l’extrême simplicité du postulat de départ débouchent des enjeux et des révélations sinistres et dérangeantes. Et même si quelques ficelles bien trop faciles sont utilisées pour justifier et rythmer la mésaventure des protagonistes, on ne reste pas de marbre face à leur descente aux enfers. Dilemmes et mises à l’épreuve sadiques sont au programme du petit jeu macabre instigué par l’intrus sorti de nulle part. A mi-chemin entre cruauté belle et bien réelle et élans mystiques, Unfriended se nourrit finalement au fil des minutes de ce qu’il dénonce. Ce qu’il arrive parfaitement bien à faire. 

Difficile de voir les réseaux sociaux avec le même regard en sortant de notre salle de cinéma. Et l’on en sort pas en ayant  seulement peur des fantômes et autres entités surnaturelles non, on en sort seulement terrifié des travers de notre société à l’ère du numérique et des tortionnaires qu’elle élève. Ce qu’on aurait pu soupçonner d’un énième found footage sans âme en est finalement loin. Un film d’horreur utile et nécessaire sur le cyber-harcellement et sur la cruauté désinhibée derrière un écran d'ordinateur. Mais également une vraie petite réussite technique. Unfriended restera finalement à notre plus grande surprise une belle découverte horrifique en cette année 2015.